L’Histoire de la Maison de Cuba à Paris


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DE PASTEUR A SAINT-JOHN PERSE

                                                                                                                                                                             

ITINERAIRE D’UNE GRANDE FAMILLE PATRIOTE CUBAINE

 

OU 

 

L’HISTOIRE DE LA MAISON DE CUBA A PARIS

                

 

Cette histoire de la création d’une Maison de Cuba à la Cité Universitaire de Paris est née tout d’abord de la rencontre fortuite de  deux êtres d’exception, Rosa Abreu, jeune fille appartenant à une prestigieuse famille de patriotes et philanthropes cubains, et Joseph Grancher jeune étudiant en médecine, français, d’origine provinciale et modeste, dont j’ai voulu suivre l’itinéraire professionnel et humain au travers des événements heureux et dramatiques qu’ils traversèrent ensemble au cours du XIXe et du XXesiècle.

 

Personnalité médicale déjà renommée au début de la IIIe République, si la rencontre du jeune docteur Grancher avec le savant Pasteur fut certes déterminante dans son orientation, lui assurant une notoriété encore plus grande, celle de son épouse cubaine lui apporta non seulement un soutien infaillible, matériel et moral, mais aussi l’immense affection d’une famille remarquable qui l’assista dans la réalisation de tous ses projets professionnels et de ses rêves.

Car, c’est bien ensemble que Joseph Grancher et Rosa Abreu décidèrent de créer cette Maison de Cuba à l’image de leur hôtel particulier de la rue Beaujon à Paris, c’est-à-dire  de ce foyer chaleureux et familial où ils accueillirent à partir de 1890 et durant de longues années un grand nombre de leurs compatriotes en exil, des étudiants ou de jeunes médecins venus faire des stages à Paris, tel le brillant et précoce Joaquín Albarrán qui devint très vite l’un des pionniers les plus prisés de la chirurgie urologique. Hélas Joseph ayant disparu bien trop vite, victime de la tuberculose, ce mal insidieux qu’il avait étudié et combattu toute sa vie, ce fut Rosa qui se chargea alors de créer une fondation qu’elle appela « Fondation Abreu-Grancher » pour concrétiser son projet. Cependant, avant de mourir en 1926, elle en confia la réalisation aux deux enfants de sa sœur Rosalia, son neveu  Pierre Sanchez et sa nièce adorée Lilita Abreu qui vécut longtemps avec eux, le couple n’ayant jamais  pu avoir d’enfants. Or, si cette jeune femme cubaine devint très vite la muse et l’égérie des plus grands écrivains de l’entre-deux-guerres, elle fut aussi le grand amour d’un des plus illustres poètes du XXe siècle, Alexis Saint John Perse, qui l’appela dans son œuvre « l’Etrangère » et lui dédicaça l’un de ses plus beaux poèmes. Par contre, ce que le Tout-Paris intellectuel et artistique ignora jusqu’au printemps 1985, dix ans après sa mort, et que des archives familiales révélèrent un peu tardivement, c’est le nom de cette jeune femme mystérieuse qui demeura longtemps occulté sans qu’aucun des deux amants ne cherchent à s’en expliquer.

 

Néanmoins, cette romance ne débuta qu’après la construction de cette Maison de Cuba que Pierre et Lilita voulurent confier au plus brillant architecte de l’époque, Albert Laprade qui, par sympathie pour cette prestigieuse famille, en fit la plus belle et la plus luxueuse de toutes les résidences universitaires de la Cité internationale de Paris.

Hélas, après son inauguration qui eut lieu en 1933, elle connut bien évidemment des heures de gloire, puis d’oubli. Suivirent de longues années de guerre et de destruction, de deuil et de disparition. 

C’est donc ce très beau projet perdu dans les oubliettes de l’Histoire, puis peu à peu retrouvé au fil des jours, qu’il m’importe de ressusciter dans le temps et l’espace, et c’est pourquoi même si cette Maison aujourd’hui entièrement réhabilitée et plus belle que jamais accueille comme toujours les étudiants du monde entier, elle demeure dans le cœur de chacun une parcelle de Cuba.

                                                                                                                  Sabine Faivre d’Arcier

 

Entre Paris et La Havane …  Le dernier rêve de Rosa

 

Au début du mois de janvier 1919, Jean Giraudoux écrit toujours à Lilita.

« J’ai commencé un roman. Je devrais vous interviewer car vous êtes l’héroïne. ». Il s’agit de « Suzanne et le Pacifique » où la protagoniste retrouve Anne et Simon et d’où l’auteur n’est pas absent.

Trois mois plus tard, il lui dit : « Bien chère Lilita…Je comprends maintenant pourquoi vous m’aviez demandé si j’étais chez moi ce matin…J’y suis toujours pour vous et Berthe Morisot[1]. Peut-être auriez-vous pu venir ensemble […]  Rien ne pourrait me faire plus plaisir. »

Et l’année se termine comme elle a commencé, tranquillement et sans histoire, avec la naissance de Jean-Pierre, le fils unique de Giraudoux, mais si Jean n’est pas auprès de sa femme Suzanne, ce 29 décembre plus précisément, il n’est pas pour autant avec Lilita, comme le suggèrent les mauvaises langues, car sa dernière rencontre avec elle remonte à deux jours.

Quant à Lilita, elle a bien d’autres soucis de famille qui la préoccupent davantage que ces joutes amoureuses, car le fils de Marta a décidé le rapatriement à Cuba des restes mortels de ses parents. En effet à leur mort, à la demande de sa tante Rosa, Pedro les avait provisoirement déposés dans la sépulture de son oncle, le professeur Grancher, puis, quelque temps plus tard il avait voulu faire construire spécialement pour eux une tombe qui se trouvait à l‘époque située à l‘entrée du cimetière Montmartre. Alors, après avoir procédé une nouvelle fois à la cérémonie d’exhumation, leurs dépouilles allaient être finalement transférées pour être embarquées au Havre sur le vapeur Flandres dont le départ pour La Havane a été fixé au 4 février de l’année 1920.

Le 20 de ce mois, le couple de Marta Abreu et Luis Estévez sera donc une nouvelle fois inhumé et pour l’éternité dans le panthéon familial, érigé dans le magnifique cimetière Christophe Colomb de La Havane où bien évidemment des honneurs officiels de la part des autorités gouvernementales doivent leur être rendus.

A peine revenue à Paris, la famille Abreu Grancher, étrangement diminuée à la suite de tous ces deuils qui se sont enchaînés d’une manière dramatique, essaye de se reconstituer peu à peu dans ce salon de la rue Beaujon où se réunissent depuis plus de trente ans, intellectuels et scientifiques français et cubains, amis et proches, autour d’un projet qui leur tient à cœur et dont Rosa, la veuve de Grancher, est l’âme et l’ossature tout à la fois. A ses proches, elle explique donc qu’elle a voulu concrétiser, ce que son mari et elle ont fait durant des années : recevoir et accueillir chez eux dans leur foyer tous les artistes et les hommes de science qui partaient faire des études en France et s’exiler momentanément de leur mère-patrie. Cette chance qu’elle leur donnât, elle voulut donc la prolonger, l’institutionnaliser, et elle fut heureuse d’apprendre qu’en 1919, la première guerre mondiale étant terminée, on parlait déjà à l’époque d’un projet quasiment similaire au sien : la création dans la ville-lumière d’une cité universitaire qui pourrait accueillir des étudiants du monde entier. Un groupe d’intellectuels et de visionnaires ainsi que « l’Association médicale franco-cubaine Joaquin Albarrán » eut alors cette idée géniale de créer un modèle original d’habitat collectif en accord avec le contexte pacifique et humaniste de l’époque. Ce furent donc, entre autres, des Cubains qui furent à l’origine de ce projet révolutionnaire de créer une université internationale en France. L’appel fut entendu. Dès 1920, le ministre français de l’Instruction publique, André Honnorat, en accepta l’idée.

Ces bâtiments construits par des architectes de renommée internationale devaient être construits sur un immense parc de 40 hectares où l’environnement végétal et le paysage devaient contribuer au caractère exceptionnel de cet ensemble urbanistique.

A l’origine, il fut décidé que chaque pays devait s’engager, du moins en partie, à payer l’édifice résidentiel dans lequel ses pensionnaires devaient être logés. Et très vite le projet fut soutenu économiquement par l'industriel philanthrope alsacien, Emile Deutsch de la Meurthe.

C’est alors que le neveu de Rosa, Pierre Sanchez, descendant de cette illustre famille cubaine, les Abreu, fut parmi les premiers à présenter son projet architectural d’une maison pour accueillir les étudiants et les intellectuels cubains, de passage ou en stage durant leur séjour dans la capitale française. En réalité, il ne faisait que perpétuer la tradition philanthropique de cette grande famille patriote de Santa Clara qui avait financé dans leur ville natale de nombreuses œuvres caritatives et de bienfaisance depuis les années 1870, et pour la réalisation de cette idée géniale, il avait pleinement le soutien de sa sœur Lilita. Hélas, les ennuis financiers allaient très vite commencer car les fonds pour réaliser cette magnifique entreprise ne s’avéraient pas encore suffisants pour l’instant.  

Pourtant, il y avait eu un espoir qui avait couru lorsqu’en 1921, lors d’un Congrès de médecine qui se tenait à La Havane, le président de l’Académie de Sciences médicales, physiques et naturelles, l’éminent chirurgien José Antonio Presno Bastiony qui venait d’ailleurs d’épouser Maria Albarrán, la fille du renommé urologue le docteur Joaquín Albarrán, décédé prématurément à Paris à l’âge de 52 ans, demanda le soutien nécessaire pour faire avancer la future construction de la Maison de Cuba  Et bientôt des personnalités influentes jointes à d’autres institutions de l’époque, firent intervenir l’homme politique Gerardo Machado lui-même pour qu’il y apporte les fonds nécessaires. C’est alors que le gouvernement cubain accepta de relever le défi de la famille Abreu, et le Ministre des Travaux Publics de l’époque passa un contrat avec une équipe française dirigée par l’urbaniste-paysagiste, Jean-Claude Nicolas Forestier, dont la vision novatrice et son attrait pour l’urbanisme lui avaient déjà permis de se faire remarquer sur le plan international, notamment en Espagne et en Amérique latine. On disait même qu’il avait participé à des projets urbanistiques, non seulement pour Buenos Aires, mais pour La Havane, car brillant botaniste, sa connaissance horticole des espèces et leur utilisation était un atout important pour sa nouvelle conception des parcs urbains. C’est pourquoi, on le connaissait déjà à Cuba où il était venu plusieurs fois en voyage pour y étudier la flore de ce beau pays et présenter un projet exemplaire de cité-jardin à grande échelle, car pour lui le jardin était le lieu de vie, du repos, de la méditation. Et il affirmait même que « le plan de ville est insuffisant s’il n’est pas complété par un programme d’ensemble et un plan spécial des espaces libres intérieurs et extérieurs - par un système de parcs ». Et ce fut justement cet homme-là qui remplissait par ailleurs les fonctions de coordinateur des travaux de la Cité Universitaire que l’amoureux de Lilita, l’écrivain Jean Giraudoux, citera dans l’une de ses œuvres : « Je suis un vrai homme des villes. J’aime l’air libre et les jardins »[2].

Hélas, c’était sans compter  avec les chantiers  de certains ouvrages publics qui étaient déjà engagés à La Havane en ce temps-là : à savoir  la Route centrale, la seconde trame du Malecon havanais, le Capitole National, et d’autres projets encore qui récoltèrent toute l’attention et les ressources nécessaires pour les mener à bien car avant toutes choses, il était impératif pour les Cubains  de moderniser les infrastructures qui dataient  de l’époque coloniale et de moderniser à sa juste valeur cette magnifique Perle des Antilles. Ainsi, du même coup, furent momentanément abandonnés le projet parisien et les rêves de Rosa.

Pourtant, devant ce blocage, les deux enfants Abreu, Pedro et Lilita, ne se laissent pas intimider, ils décident alors avec l’accord de leur tante Rosa de créer la Fondation Abreu de Grancher en hommage à leur couple et en souvenir de son mari, le professeur Joseph Grancher qui a été un grand ami et un collaborateur fidèle de Louis Pasteur, en particulier durant les études que le scientifique français a consacré au vaccin antirabique. Et ils vont attendre tout simplement que l’heure vienne pour réaliser ce projet car il y a un temps pour tout.    

La vie continue en effet malgré ces drames et ces soucis, les joies succédant aux peines, les rêves aux désillusions. Après avoir accompagné le retour des cendres de leur sœur Marta et de son mari Luis, la famille Abreu s’est mise à préparer dans l’effervescence le mariage de Lilita qui doit avoir lieu le 22 janvier de cette année 1921 avec un certain Albert Sancholle-Henraux, surnommé Adal par les intimes.

 En effet depuis quelques mois ce dernier lui fait non seulement une cour assidue comme tous ses prétendants l’ont fait, mais il la couvre aussi de fleurs et de cadeaux.  « J’ai la mentalité d’un croisé pour sa dame », lui écrit- il, et cette remarque poétique lui plaît particulièrement. Elle en tombe amoureuse.

Sabine Faivred’Arcier

La Historia de la Casa de Cuba en París, Ediciones IDEA, Santa Cruz de Tenerife, 2019.

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

 

PROLOGUE

 

L’Union de deux familles ……………………………………………………………….    2

 

 

PREMIERE PARTIE

Le couple Abreu-Grancher

1878-1907

 

La Rencontre de deux jeunes gens et les rumeurs qui courent…………………      14

Et Grancher fut présenté à Pasteur …………………………………………….     24

Encore quelques années de bonheur ……………………………………………    44

 

 

DEUXIEME PARTIE

Les Trois soeurs

1908-1926

 

Le Cercle de famille se resserre……………………………………………………   66

Années de deuils et de ruptures…………………………………………………….   79

Entre Paris et La Havane, le dernier rêve de Rosa …………………… ………...     93   

 

 

TROISIEME PARTIE

La fin d’une époque et l’entrée d’une nouvelle génération

1932-1955

 

Lilita, la sœur, l’amante, l’égérie………………………………………………….   106

Le don d’adieu de Saint John Perse ………………………………………………   123

Retour d’Exil et Fin de vie ……………………………………………………….     134

 

 

EPILOGUE

 

La Maison de Cuba au XXIe siècle ………………………………………………………  143

Calendrier des hommages rendus au couple ABREU- GRANCHER …………………151

 

 

 

[1] Peintre française née à Bourges en 1841 et morte à Paris en 1895, membre fondateur et doyenne du groupe des Impressionnistes dont elle est la seule femme. Expose à côté d’Edgar Degas, de Claude Monet, d’Auguste Renoir et d’Eduardo Manet dont elle est le modèle avant d’épouser son frère Eugène.

[2] Ainsi se décrivait lui-même l’architecte-paysagiste Jean-Claude Forestier. Cité par Jean Giraudoux dans « Pleins pouvoirs », Paris,1939.


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