La mort de Tarzan


la-mort-de-tarzan
Johnny Weissmuller

Le garçon met une cape et saute dans le vide d’un étage élevé. Quelques fractures lui ont appris pour toujours la distance qui sépare l’illusion de la réalité. Superman a dominé très longtemps les bandes dessinées. Tarzan a également vu le jour à cette époque. Peu aspiraient à marcher entre les singes de la jungle, bien que la contexture humaine du personnage encourageait à renforcer les biceps.

Tout indique que la recherche de modèles fait partie du développement de la personnalité et peut contribuer à l’orientation professionnelle. À l’époque dominée par le livre, la radio et le cinéma, l’imagination a participé à la concrétisation des figures et des paysages, Salgari et Jules Verne ont animé l’esprit aventurier et les questions sur un futur modelé par les avances de la technique. L’écran du cinéma offrait un univers illusoire à un spectateur assis dans une salle obscure. Quand le rideau du théâtre tombe, les lumières seront allumées à un moment donné.

La télévision fait irruption dans l’espace privé au milieu du 20e siècle. Elle a modifié certaines habitudes. La famille s’assoit avec l’assiette en main pour regarder le spectacle. Ils abandonnent la table traditionnelle, mais ils ne renoncent pas à la distance critique. Ils échangent des opinions et des commentaires. L’autonomie du sujet dominait le petit écran. En groupes ou en couples, les enfants gardaient leurs coutumes dans les rues. Les amoureux préféraient le refuge tranquille de la salle obscure.

L’expansion des technologies de l’informatique a généré des ruptures plus profondes. La personne s’isole quand elle établit, solitaire, ses nombreuses connexions à distance.

L’immersion précoce dans le monde des jeux vidéo et de l’animation brise la distance entre le spectateur et l’image. Capturé par elle, on peut tomber dans la dépendance jusqu’à mutiler le développement autonome de sa personnalité individuelle. La clé du phénomène ne se trouve pas dans l’utilisation de la technologie. Il a son origine dans les études scientifiques de la psychologie humaine au service du marketing.

L’approche biologique dans le domaine de la recherche du corps humain a révélé des zones jusqu’alors inconnues quant au fonctionnement du cerveau. Il y a encore des territoires cachés qui gardent leur mystère et soulèvent de nombreuses questions. La complexité du problème s’accroît si l'on prend en compte que l’évolution de l’espèce doit beaucoup au facteur social pour survivre ; nous devons faire partie d’une communauté interactive. Dès la fin du XIXe siècle, le courant psychanalytique fondé par Sigmund Freud a trouvé une de ses sources dans l’évolution des espèces, selon Charles Darwin. Depuis cette perspective, l’homme moderne est le résultat du combat entre l’instinct et  la culture.

La tradition psychanalytique divise la nature humaine en trois parties. Le moi conscient et lucide, que nous emprisonnons entre les forces obscures du subconscient et la fonction inhibitrice du surmoi, responsable de protéger les valeurs morales prévalant dans la société. Dans l’arrière-plan submergé bat la demande de fuir de la douleur et de jouir du plaisir. De là surgit la notion du bonheur, un concept abstrait qui acquiert un contenu particulier dans des contextes historiques spécifiques. Les poètes bucoliques chantaient la douce complainte des deux bergers dans un environnement champêtre présidé par l’harmonie et l’absence de conflit. Rares sont ceux qui cherchent un refuge si doux, car il y a trois paradigmes dominants. Certains cherchent le ciel promis conformément aux normes de conduite établies. La société propose d’autres aspirations. Il y a les rêves mirifiques qui passeront de l’or au billet et de ce dernier aux comptes dans certains paradis. Il y a des vies qui se consument avec cette obsession associée aux différents modes de l’exercice du pouvoir.

Une science relativement jeune, la psychologie, a eu une expansion rapide. Ses résultats sont appliqués selon la demande sociale. Elle peut contribuer au bien-être humain et, en sens inverse, se convertir en instrument pour la manipulation des gens. L’instinct ancestral se trouve sous les masques d’une culture ancienne. En faisant appel à ces ressorts, on absolutise la recherche du plaisir que libère l’agressivité contenue par le contrat social. Des nécessités se construisent et s’exacerbent jusqu’à conduire à la toxicomanie et à la dépendance sur un stimulus externe. La réaffirmation apparente de l’individualité se traduit dans la pratique par un processus d’homogénéisation. La personne subordonne son comportement à l’afflux omniprésent d’une seule émission des modèles de jouissance. La faim assouvie et la journée de travail terminée, les hommes, depuis des temps immémoriaux, se réunissaient autour d’un feu pour écouter des histoires. Comme disait Onelio Jorge Cardoso, ils satisfaisaient une autre faim, celles des rêves et de l’imagination. C’est ainsi que se sont construits les héros mythiques qui sont arrivés à nos jours. Semblables à nous et, à la fois, inaccessibles. Ils pouvaient être le rusé Ulysse, le généreux brigand Manuel García, roi des champs de Cuba. Sans diluer la personne, la vie et l’imagination ils s’alimentaient mutuellement, nous dit le Cuentero. Créé pour représenter le triomphe de l’homme blanc, Tarzan ne laisse pas plus d’empreinte chez les jeunes que le goût pour la culture du biceps, car la distance critique les préserve de la dépendance.

 


0 commentaires

Deje un comentario



v5.1 ©2019
Développé par Cubarte